Gérard Ouellet nous éclaire un peu sur les Harrower et leur distillerie lorsqu’il écrit :
« Quand [le curé] Boissonnault arrive dans ma paroisse [en 1814] celle-ci compte déjà une forte population. Il existe par exemple aux Trois-Saumons un bon noyau grâce à des moulins et à une distillerie. Joseph Bouchette, arpenteur, a visité les lieux en 1812. Il dit dans son Relevé topographique du Bas-Canada :
''À l’embouchure de la Rivière Trois-Saumons sont placés très avantageusement les moulins et la distillerie qui appartiennent à M. Harrower; la dernière est un établissement d’une grandeur considérable, pourvu de toutes les commodités pour conduire de grandes entreprises; à la marée haute, des vaisseaux pontés de 20 tonneaux peuvent monter jusqu’aux bâtiments. Il y a un beau pont sur la rivière. À l’embouchure de la Rivière des Trois-Saumons le rivage est plat et couvert d’un grand nombre de rochers détachés qui se continuent à une grande distance. On a du Saint-Laurent une vue très agréable des moulins et objets qui les entourent, laquelle est encore embellie par l’aspect charmant des beautés naturelles des environs.''
Une grande activité règne donc dans ce coin où bricks et goélettes viennent charger liqueurs alcooliques, bois, grain et autres produits. À cette époque, l’Anse des Pierre-Jean n’est guère utilisée comme port d’attache. Plus tard on y chargera le bois que l’on prendra à même les centaines de cordes alignées tout près; un petit quai permettra aux voiliers d’amarrer mais ceux-ci seront à sec à marée basse. Après la construction du quai du village cette anse ne servira qu’à abriter les goélettes en hiver.
Joseph Bouchette parle de ''M. Harrower'' au sujet de la distillerie et des moulins des Trois-Saumons. Pourtant, trois frères s’intéressent à ces entreprises : David, Robert et Charles Harrower. Par bail emphythéotique (99 ans), David a loué du seigneur de Gaspé le terrain occupé par ses bâtiments. Venus de Québec, ces trois industriels écossais sont d’ascendance normande. Leurs ancêtres huguenots avaient fui la France à l’époque des persécutions. En Écosse ils devaient modifier leur nom. Ainsi, en dénommant Harrois les trois frères, les résidents de Saint-Jean et de [L]’Islet ne font que leur redonner leur nom primitif. Il existe encore une route des Harrois aux Trois-Saumons, du côté de [L]’Islet.
La distillerie, qui fonctionna à partir de 1810 environ, ferma ses portes peu après la mort de David Harrower décédé subitement en 1826, d’une indigestion. Son frère Robert, qui devait le suivre dans la tombe en 1830, manqua bientôt d’argent. James-Thompson Harrower, de Québec, petit-fils de David, de qui je tiens ces renseignements, me dit que le seigneur refusa de renouveler le bail après la déconfiture de Robert. David et Robert Harrower furent inhumés aux Trois-Saumons, du côté de [L]’Islet, au sud du chemin, dans un petit cimetière protestant dont ils avaient fourni le terrain. Charles, le troisième, décéda à Québec. C’est vraisemblablement lui qui fut le premier maître de poste à Saint-Jean. Les Harrower possédaient une vaste maison de pierre aux Trois-Saumons, à l’ouest de la rivière. Elle fut incendiée aux environs de 1900, prétend encore M. Harrower. (Ouellet, 2001 (1946) : 100-102) »
Au sujet de la distillerie comme telle, Gaston Deschênes rajoute qu’elle « n’embauche peut-être pas beaucoup de personnes mais, outre qu’elle stimule probablement la culture du seigle et de l’orge, elle favorise la ''marine marchande''. Il y a six goélettes à Saint-Jean vers 1827 et le havre des Trois-Saumons est fréquenté par de nombreux ''bâtiments'', qu’il faut piloter mais aussi construire et réparer. Aux Trois-Saumons, on construit des ''bâtiments'' à l’embouchure de la rivière, probablement des goélettes et des sloops. Qui dit marins, dit débits d’alcool, surtout si l’objet de leur voyage est d’approvisionner ou de transporter les produits d’une distillerie. Saint-Jean en est alors bien pourvu. (Deschênes, 1984 : 25) »
Quant au moulin des Price Brothers, il fut érigé à l’emplacement de la distillerie Harrower à l’aube du XXe siècle, le bois y est acheminé par la rivière Trois-Saumons sur laquelle se pratique la drave. Ce moulin emploie une centaine d’hommes pendant trois ou quatre mois par année. (Deschênes, 1984 : 44)
Alain Laberge, dans son Histoire de la Côte-du-Sud, rajoute que la compagnie Price Brothers, « possède, jusqu’en 1932, en moyenne 388 kilomètres carrés de territoire. Selon les années, elle opère des moulins à Montmagny, à Cap Saint-Ignace, à Notre-Dame-du-Rosaire, à Trois-Saumons et à Saint-Just-de-Bretenières. (Laberge, dir., 1993 : 248) »
Or, « en 1939, après cent ans de présence sur la Côte-du-Sud, Price Brothers vend ses propriétés et ses concessions des comtés de Bellechasse, de Montmagny et de [L]’Islet à une compagnie magnymontoise, la Collin Lumber Limited. (Laberge, dir., 1993 : 425) »
Deschênes, Gaston. Portraits de Saint-Jean-Port-Joli, Les Éditions des Trois-Saumons, Québec, 1984, p. 25 et 44.
Laberge, Alain. dir. Histoire de la Côte-du-Sud, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1993, p. 248 et 425.
Ouellet, Gérard. Ma paroisse, Les Éditions des Piliers, Québec, 2001 (1946), p. 100-102.