« Le moulin à farine est certainement la première industrie rurale à apparaître dans les campagnes, compte tenu de la primauté de l’agriculture dans les activités économiques. En fait, le moulin à farine représente, d’abord et avant tout, un service que le seigneur, qui détient le droit de le faire bâtir, fournit aux habitants de la seigneurie contre redevances. Durant la période pionnière, la présence d’un moulin à farine dans une seigneurie constitue d’ailleurs un facteur d’attraction considérable pour les éventuels colons. Cette fonction de service du moulin à farine reste prédominante même après les débuts de la commercialisation de l’agriculture.
La construction d’un moulin à farine dans une seigneurie n’est ni simple ni automatique. Il s’agit en effet d’un investissement coûteux qui ne devient profitable que lorsqu’un nombre assez important de producteurs agricoles y font moudre leurs grains. C’est pourquoi dans les années 1720, des seigneuries moins peuplées comme Bonsecours, L’Islet-Saint-Jean et Port-Joly ne possèdent pas encore de moulin à farine et que plusieurs fiefs comme La Martinière et la Pointe-aux-Foins en restent dépourvus. À ce moment, on compte onze moulins dans la région.
L’accroissement des échanges à partir de 1720 ne modifie guère la situation et en 1739, il n’y a toujours que douze moulins et il reste encore quelques seigneuries sans moulin à farine sur la Côte-du-Sud. Près d’un siècle plus tard, le nombre de moulins à farine atteint la vingtaine. Certains, comme celui de Kamouraska bâti en pierre à deux étages et comportant quatre meules, sont des établissements imposants.
La volonté de construire un moulin à farine se heurte parfois à la difficulté de trouver un cours d’eau assez puissant pour le faire fonctionner adéquatement. Ce problème, qui et le même pour la plupart des types de moulins, conduit le seigneur de la Rivière-Ouelle à recourir à la force du vent pour remplacer le trop faible débit de la rivière. Dans la seigneurie de Saint-Michel, le moulin à farine est démoli puis reconstruit sur une terre acquise par le seigneur dans le fief voisin de Beaumont où coule la chute Mailloux qui génère un fort pouvoir d’eau. À plusieurs endroits de la Côte-du-Sud, le débit des rivières et des ruisseaux est souvent insuffisant pour actionner le moulin durant l’été. (Laberge, dir., 1993 : 120-121). »
Philippe Aubert de Gaspé (1786-1871), dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli, aborde cet état de fait dans les « Notes et éclaircissements » de son roman Les anciens Canadiens :
« Les moulins à farine étaient peu nombreux même pendant mon enfance. Je me rappelle que celui de mon père, sur la rivière des Trois-Saumons, ne pouvant suffire, pendant un rude hiver, aux besoins des censitaires, ils étaient contraints de transporter leur grain soit à Saint-Thomas, distant de dix-huit à vingt milles, soit à Kamouraska, éloigné de quarante milles ; et il leur fallait souvent attendre de trois à quatre jours avant d’obtenir leur farine. (p. 419) »
Le moulin seigneurial de Saint-Jean-Port-Joli aurait même servi de résidence aux Aubert de Gaspé lors de la reconstruction de leur manoir incendié par les Anglais en 1759.
En 2020, un bris endommage le barrage qui permettait autrefois d'allimenter le moulin seigneurial, amenant un risque aux milieux environnants. Des études sont réalisées en 2023 pour évaluer les impacts potentiels causés par une démolition du barrage sur les milieux naturels et deux espèces fauniques présentes dans la rivière : l’éperlan arc-en-ciel et l’anguille d’Amérique.
Au mois de juillet 2024, la MRC de L’Islet et la municipalité de Saint-Jean-Port-Joli ont pris la décision de démolir le barrage de la rivière Trois-Saumons. La démolition est effectuée dans un souci de préservation de la biodiversité et des écosystèmes locaux ainsi que pour garantir la sécurité des habitats naturels à proximité de la rivière.
Aubert de Gaspé, Philippe. Les anciens Canadiens, Bibliothèque québécoise, Montréal,1994 (1864), p. 419.
Laberge, Alain. dir. Histoire de la Côte-du-Sud, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1993, p. 120-121.