La maison des cordonniers Morency

Histoire

« Parallèlement à l’implantation de l’industrie de la chaussure dans les grands centres au 19e siècle, il existait dans les campagnes de petits artisans qui continuaient à fabriquer des chaussures traditionnelles à la main. À Saint-Jean-Port-Joli, la famille Morency a fabriqué des "bottes sauvages" jusqu’en 1960 environ, répondant ainsi à la demande de leur clientèle surtout composée de cultivateurs. [...]

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La maison et la boutique

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La maison de neuf pièces qu’ont habitée les trois générations de cordonniers de Saint-Jean-Port-Joli est située à l’est du village, près du fleuve. [...] Pour profiter au maximum de l’éclairage naturel, ils avaient d’abord installé leur outillage à proximité des trois fenêtres.

Louis ayant travaillé successivement avec son père adoptif [Léandre Desrosiers] et avec son fils Gaudias, il y avait toujours deux bancs de cordonniers dans la boutique et ils étaient placés près des fenêtres. Il en est de même pour les deux machines à pédale qui servaient à coudre les empeignes ou les pièces. Avant l’avènement de l’électricité, lorsque les cordonniers travaillaient le soir, ils s’éclairaient avec deux lampes à l’huile suspendues tout près de leurs espaces de travail. »

Une machine à coudre de la marque « Singer » servant au travail de cordonnerie.

Photo Judith Douville, date inconnue, coll. Musée François-Pilote. Crédits

« Un grand nombre d’instruments de travail qui ne pouvaient être contenus sur les bancs de cordonniers étaient suspendus au mur à l’aide de clous. [...] D’autres outils étaient rangés sur des tablettes ou dans des tiroirs avec les bouteilles de teinture, les boîtes de rivets et les chaussures. Les retailles de cuir étaient conservées dans un coffre en bois, tandis que les peaux étaient enroulées et entreposées dans une remise attenante à la boutique.

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Un autre coin de la boutique était destiné aux villageois qui se rassemblaient tous les après-midis entre 1 heure et 4 heures. Il était aménagé comme un salon et meublé d’un canapé, de trois chaises, d’une berçeuse et d’une petite table. Les vieux de Saint-Jean-Port-Joli aimaient occuper leurs loisirs en se rencontrant ainsi dans l’atelier du cordonnier pour parler du bon vieux temps ou discuter des événements survenus dans le village. Pendant que l’artisan travaillait, ils prenaient quelquefois plaisir à se raconter des histoires, mais lorsque Louis Morency les trouvait trop grivoises, il s’empressait d’offrir des pommes à ses visiteurs pour qu’ils "se changent les idées".

Les après-midis passés dans la boutique n’étaient sûrement pas ennuyants. Souvent le cordonnier se joignait à ses visiteurs pour jouer une partie de dames, parfois aussi, on invitait Servule Desrosiers ou Odilon Ouellet à apporter leur violon et à jouer quelques morceaux. Dans la soirée, la plupart de ces vieux se retrouvaient de nouveau au magasin général où le marchand faisait la lecture du journal. [...] »

La photographie montre la cordonnerie Morency, vers 1930.

Le travail du cordonnier

« Pour protéger leurs vêtements lorsqu’ils travaillaient, les cordonniers portaient toujours un tablier de cuir qui était noué autour du cou et descendait jusqu’aux genoux. [...]

La fabrication de chaussures s’effectuait assis sur le banc de cordonnier. Elle nécessitait l’utilisation de divers outils manuels que l’artisan rangeait habituellement près de lui sur son banc. Pour fabriquer une paire de "bottes sauvages", le cordonnier devait posséder entre autres une forme de bois de facture artisanale, un patron en bois mince ou en cuir, un couteau, une alène et un perçoir, un poinçon pour marquer la chaussure et une petite broche en métal pour insérer le lacet dans le haut de la botte préalablement cousu à la machine.

Photo Judith Douville, date inconnue, coll. Musée François-Pilote. Crédits
Photo Judith Douville, date inconnue, coll. Musée François-Pilote. Crédits

À part tout cet outillage, la réalisation des bottines et de "bottes crampées" nécessitait quelques autres instruments. L’artisan se servait par exemple d’une pince à bout recourbé pour étirer le cuir sur la forme et cette pince à tirer était munie d’un petit marteau pour frapper braquettes et clous. Les chaussures lacées requéraient aussi l’utilisation d’un emporte-pièce ou d’une pince spéciale afin de perforer le cuir pour poser les œillets. La pose des œillets et des rivets s’effectuait généralement sur une bûche ou sur une petite enclume semblable à celle du forgeron.

Quand la chaussure était terminée, l’artisan polissait le bord des semelles avec une râpe ou une besaiguë. Il complétait le travail de finition avec une roue à impression et dentelure qui gravait de petites dentelures sur le bord des semelles, à la manière des chaussures manufacturées.

Photo Judith Douville, date inconnue, coll. Musée François-Pilote. Crédits
Photo Judith Douville, date inconnue, coll. Musée François-Pilote. Crédits

Une fois les chaussures terminées, le cuir était habituellement laissé à sa couleur naturelle, sans vernis, ni teinture. Cependant, à une certaine époque, quelques clients ont préféré porter des chaussures noires et messieurs Morency les teignaient avec de la teinture qu’ils se procuraient chez le manufacturier. Ils enduisaient ensuite la chaussure d’huile de volaille ou de suif de bœuf, afin de redonner au cuir toute sa souplesse. [...]

Tout le travail manuel effectué par le cordonnier exigeait beaucoup de temps, et pourtant, de telles tâches n’étaient pas très rémunératrices pour la famille Morency. Pour la fabrication d’une paire de "bottes sauvages", Louis Morency recevait entre $0.50 et $3.00 selon l’époque et selon que le client fournissait ou non son cuir. Michel Morency se souvient que son père ne demandait au début que $0.50 pour faire une paire de bottes. Plus tard, ses prix sont montés à $1.25, lorsque le cultivateur fournissait son cuir, et le tarif était à peu près le même pour la fabrication d’un harnais. Pour poser une pièce de cuir sur une chaussure, il ne demandait habituellement pas plus de $0.05 et un client qui voulait faire teindre ses souliers ne payait que $0.15 ou $0.20. »

Photo Judith Douville, date inconnue, coll. Musée François-Pilote. Crédits
Photo Judith Douville, date inconnue, coll. Musée François-Pilote. Crédits

Saviez-vous que...

Pendant quelques années, l'épouse et les enfants de Calixa Lavallée, le compositeur de l’hymne national « Ô Canada », ont séjourné en pension chez Léandre Desrosiers et Louis Morency, les cordonniers de Saint-Jean-Port-Joli. C’est durant cette période que Calixa Lavallée, fils, est décédé en 1883, à l’âge de quatorze ans. Le jeune homme a été enterré au cimetière de Saint-Jean-Port-Joli.

Ouellet, Gérard. « Du manoir de Gaspé à la tombe de Calixa Lavallée, fils », L’Action Catholique, vol. VII, no 8, 21 février 1943.

Simard, Hélène, Trois générations de cordonniers à Saint-Jean-Port-Joli, Musée national de l’Homme, Ottawa, 1976, p. 9 à 65, collection « Division de l’histoire », no 16.

Évènement : Aucun Adresse : 129, avenue De Gaspé Est
Mise à jour : vendredi 12 juillet 2024